Depuis Paris, je salue l’ouverture ce jour de la Section clinique de Tel-Aviv. Qu’est-ce qu’une Section clinique ? Elle est faite de ses enseignants, de leur savoir, de leurs bonnes dispositions pédagogiques. Elle n’est rien sans ceux que nous appelons non, des étudiants, mais des participants, pour indiquer le rôle actif qui leur est imparti. Elle a besoin de nombreux amis, dans le milieu psychanalytique, parmi les psychiatres et les psychologues, dans les hôpitaux et les institutions.
Est-ce là tout ? Des enseignants, des participants, des amis ? Non, une Section clinique, c’est aussi un concept.
Ce concept fut élaboré, il y a quelques vingt ans, autour de la présentation de malades de Jacques Lacan. Il fut expérimenté au Département de Psychanalyse de l’Université de Paris VIII. Depuis lors, il essaima en France, en Europe, en Amérique latine, avant d’être confié maintenant à nos collègues israéliens.
Ce concept, quel est-il ? Il faut introduire ici une distinction.
Ce que la psychanalyse démontre, ce qu’elle transmet, ce qu’elle permet au sujet de saisir – concept, c’est prise, capture – elle l’accomplit, non par l’enseignement, mais par la cure analytique elle-même, quand sa finalité thérapeutique ne l’empêche pas de s’avérer une expérience digne de ce nom. Or, une part seulement réduite du savoir acquis dans la cure est universalisable, enseignable, susceptible de passer au public. L’enseignement distribué dans les formes universitaires doit, quand il s’agit de psychanalyse, reconnaître ses limites, qui sont aussi bien celles que la psychanalyse elle-même admet au regard de la science.
De ces difficultés, de ces délimitations complexes, on peut facilement faire des impasses. J’en vois deux principales : refuser d’enseigner quoi que ce soit hors d’un cercle d’initiés à l’expérience analytique; faire de la psychanalyse, au moins de son histoire et de sa bibliothèque, une matière d’érudition universitaire.
Il y a pourtant une solution qui permet d’échapper à ses impasses : c’est la solution clinique. Les Sections de l’Institut du Champ freudien n’ont pas un public d’initiés, et l’engagement dans une analyse n’est pas une condition d’entrée; l’enseignement porte sur l’expérience subjective, singulière et au présent, et se déroule autant qu’il est possible, au contact du patient. La clinique dont il s’agit est d’abord celle de Freud; c’est aussi la clinique psychiatrique classique franco-allemande, où la psychanalyse a largement puisé; c’est la formalisation qu’en a donnée Lacan, ou plutôt les formalisations multiples, propres à épouser, sans dogmatisme aucun, les reliefs du discours du patient, qui, dans tous les cas, est au centre de l’examen comme de l’investigation. Les conditions nécessaires à l’ouverture d’une Section clinique ne sont pas faciles à réunir. Pour cette raison, j’ai longtemps résisté aux demandes qui se faisaient entendre en Israël. Je me suis laissé finalement convaincre qu’il y avait désormais les enseignants, les participants, les amis et le concept. La première année, de caractère expérimental, permettra de corriger les erreurs, s’il y en a, d’ajuster un fonctionnement qui demande un réglage soigneux, et qui suppose entre les enseignants solidarité et travail en commun, par exemple dans un séminaire interne régulier. C’est dans cet esprit, et avec confiance, que l’Institut du Champ freudien ouvre sa Section de Tel-Aviv. J’assure celle-ci de mon soutien, et je lui souhaite longue vie.
Le 21-10-96